« En danger de
progrès ». La formule était provocante, j’en fis le titre de mon premier
essai. A l’aube des années soixante-dix, ce binôme mariait une chose et son
contraire, le meilleur et le pire, le feu et la glace. Trente années plus tard,
l’oxymore n’est plus qu’une évidence. Pis, la vérité a changé de sens :
c’est le danger qui est en progrès. Chaque jour, s’alourdissent les menaces que
le développement des sciences et des techniques fait peser sur l’humanité. Ce
serait à dire, comme ce personnage de
Woody Allen : « Arrêtez l’histoire, je veux descendre. » si le
bon sens ne nous avait prévenu de longue date qu’on n’arrête pas le progrès.
Nous voilà donc condamnés au
progrès, autant dire à l’avenir. Car les deux sont liés. L’avenir, c’est du futur
façonné par le progrès, le creuset du monde moderne.
Le futur de nos ancêtres était
entre les mains des Dieux, il pesait sur les hommes comme une fatalité. Bon ou
mauvais, que sera, sera ! Le
progrès, au contraire, est une fabrication humaine. Il se construit à partir de
découvertes et d’inventions qui ne doivent rien à des puissances surnaturelles.
En maîtrisant la nature, l’homo
scientificus se réapproprie son histoire et fait reculer cette
« condition humaine » qui, de la résignation, faisait une sagesse.
Cette illusion scientiste avait
pour elle le poids des évidences : les victoires de la médecine,
l’allongement de la vie, la
généralisation du confort, le recul des famines et des épidémies, l’extension
de l’éducation et de la culture, etc. Le progrès ne pouvait être que bénéfique
et libérateur.
Comment reconnaître cette aimable
utopie dans les avancées vertigineuses que nous décrit Joël de Rosnay ?
Son avenir info-bio- nano-éco, avec un cyber monde qui défie le monde réel,
avec des machines qui s’humanisent et des hommes qui se machinisent, avec
l’irréductible solitude de l’interconnexion généralisée, avec la dictature
anesthésiante de nos esclaves intelligents, avec la perverse soumission d’une
nature réinventée, cet avenir perturbe les repères et dissout les catégories
qui structurent notre pensée. Voilà le piège : nous créons un monde que
nous sommes incapables de penser, incapables, à plus forte raison, de
maîtriser. Ainsi nous serions passés de
l’antique à la nouvelle fatalité, créant de toutes pièces un avenir qui
substitue à la sécurité d’un monde immuable, l’angoisse d’un devenir aux
imprévisibles péripéties.
C’est à ce point que des esprits
comme Joël de Rosnay nous sont si
nécessaires. A la différence des prophètes d’antan, ils ne nous donnent pas le
point d’arrivée, mais les mécanismes secrets des changements en cours. Une
démarche plus modeste donc plus utile.
Ce voyage fantastique nous
rappelle que la nature n’est pas optimisée pour l’homme, qu’elle n’est pas une
caverne au trésor qui enrichirait à tout coup ses explorateurs et que la
recherche n’est pas une démarche altruiste ou philanthropique, mais
intellectuelle. Poussé par sa
curiosité, l’homme acquiert des connaissances au hasard des découvertes. Dès ce
stade, le processus lui échappe. Il est tributaire de l’incertitude inhérente à
tout travail scientifique et progresse dans des voies sans grande utilité
tandis qu’il piétine face à des percées vainement espérées.
Sommes-nous au moins assurés de
faire le meilleur usage de ces moissons scientifiques ? Certainement
pas. D’une part la mise en œuvre du
progrès scientifique se fonde sur les critères économiques bien plus que sur
les besoins sociaux, d’autre part, ces innovations s’introduisent dans le
système complexe de nos sociétés et provoquent des effets non prévus et non
désirés. D’où le sentiment général d’un processus irrésistible et dépourvu de
toute finalité que traduit la fameuse formule « C’est le
progrès ! », hier triomphante, aujourd’hui résignée.
Tout cela est vrai et pourtant…comment
n’être pas enthousiasmé par tant de merveilles annoncées ! Oui, l’humanité
va, dans les prochaines décennies, progresser comme elle ne l’a jamais fait.
Dans tous les domaines, elle va effectuer des sauts qualitatifs et pas
seulement quantitatifs qui la doteront de pouvoirs que nous avons peine à
imaginer. Dont, surtout, nous ignorons le mode d’emploi.
L’humanité a connu une telle
rupture avec l’apparition de l’arme nucléaire. Pour la première fois, elle se
donnait les moyens d’un suicide collectif. Les physiciens à l’origine de cette
découverte comprirent qu’il fallait tout de suite créer un ordre mondial pour
contrôler cette arme. Un demi siècle plus tard on sait ce qu'il en est.
Qu’en sera-t-il de toutes ces
mutations que nous annonce Joël de Rosnay ? Elles se présentent à nous
comme autant de défis. Mais, ne nous y trompons pas, l’épreuve de vérité ne
sera pas technique mais politique. Le progrès s’est longtemps justifié par les
merveilles qu’il réalisait. Comment ne pas en célébrer le culte alors qu’il
nous donnait l’électricité, les antibiotiques, l’ordinateur, les greffes
d’organes et le voyage sur la Lune en prime. Nous découvrons aujourd’hui que le
progrès, quelques prodiges qu’il accomplisse, n’est pas une fin en soi. Il n’a
de sens qu’en fonction de l’homme, des services qu’il peut lui rendre.
Inventer l’humanisme des temps
nouveaux, celui qui fera des percées annoncées un porte bonheur pour tous les
hommes, c’est le véritable enjeu de l’avenir. Ses données nous en sont exposées
par Joël de Rosnay avec une lumineuse clarté. Il faut maintenant qu’elles
soient entendues, que nous soyons à nouveau en espoir de progrès.
François DE CLOSETS
Journaliste et scientifique
Je n'aime pas du tout cette introduction. Trop anxiogène et imbibée subliminalement de la pomme qu'adam a prise sur l'arbre de la connaissance. Je n'aurais jamais accepté ça comme préface. C'est vicieux.
Rédigé par : Max Pintcy | 23 avril 2007 à 18:02
j'ai toujours lu avec intérêt les livres de François de Closets et l'ai cité à plusieurs reprises dans le livre que je viens de publier:KAK.Je pense que la technique est amorale et qu'il est illusoire de vouloir la freiner; elle oblige par contre à réfléchir sur son utilisation et le débat éthique doit de démocratiser et influencer le débat politique.
Rédigé par : VANEL Xavier | 01 septembre 2007 à 16:11
Votre dernier est très intéressant et j'ai cru comprendre que le Tao vous intéressait.
Je viens d'écrire un ouvrage intitulé NI plus ni moins, Plaidoyer pour un dualisme moderne. Je vous en propose un exemplaire.
Rédigé par : René Lebon | 16 mars 2010 à 15:07