Articles sur le livre "La révolte du pronétariat"

La révolte du pronétariat : 10 ans après

Article de Sylvie Constant dans le cadre du cours Nouveaux Médias à l’Université d’Ottawa, session automne 2015 - 17 novembre 2015


L’auteur

Joël de Rosnay a eu une vie bien remplie d’expériences, d’études et de succès. Non seulement a-t-il représenté la France à 2 reprises pour des championnats du monde en surf [1], mais il s’est aussi démarqué par l’obtention d’un doctorat ès sciences en chimie organique et en prébiotique (qui est « l’aspect scientifique des origines de la vie [2] »), en plus d’être professeur et chercheur à la Massachusetts Institute of Technology (MIT)[3]. Fondateur du site AgoraVox en 2005 et plusieurs autres, Rosnay écrit par la suite La révolte du Pronétariat en 2006 avec la collaboration de Carlo Revelli. Le terme pronétariat de Rosnay se veut un jeu de mot avec le prolétariat et le Net. Il désigne « une nouvelle classe d’usagers des réseaux numériques capables de produire, diffuser, vendre des contenus numériques non propriétaires en s’appuyant sur les principes de la « nouvelle nouvelle économie »[4]» Dans son livre, il explique qu’avec la venue d’Internet et du Web, le pouvoir se voit transféré à ses utilisateurs, et qu’une nouvelle démocratie est en marche. L’œuvre de Rosnay cherche à « proposer [des] analyses et approches pratiques face à un développement totalement nouveau et en brutale accélération[5]» Son but était d’identifier le potentiel et non pas de peindre un « panorama négatif de l’évolution technologique et d’Internet [6]».

Résumé

LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES

À travers son livre, Rosnay mentionne l’innovation technologique que représente l’Internet et ce qui s’y trouve. Il rappelle d’où nous viennent l’initiative et l’origine, soit de la Défense américaine (p.36). L’innovation a éventuellement été diffusée au monde entier dans les années 90. Un des aspects révolutionnaires du nouveau médium est qu’il incluait à la fois du texte, du son et de l’image (p. 41). Les sites web sont apparus par la suite, puis les blogues, les podcasts, les vlogs, l’arrivée du WIFI qui permettait d’avoir accès à Internet sans fil (p. 61), etc. L’apparition des services a suivi de prêt, notamment les moteurs de recherche tels que Yahoo, MSN et Google. Skype permettait de « téléphoner n’importe où dans le monde […] à prix réduits » (p. 73). eBay et Amazon quant à eux permettaient d’acheter de la marchandise physique en ligne et de se la faire livrer (p 75). Même la publicité a fini par se retrouver sur Internet. Il y eut ensuite le développement de certains réseaux sociaux où les internautes pouvaient partager leur vie par écrit ou par photo: MySpace.com, PostSecret, Flickr.com … (p. 183-184) À l’aide de tel réseaux, les utilisateurs d’Internet sont devenus de plus en plus connectés. Ce changement de relation représente la vocation d’Internet: « connecter des personnes à d’autres personnes au même moment pour des activités partagées. » (p. 50)


LE JOURNALISME CITOYEN ET L’IMPORTANCE DE LA CURATION

Rosnay explique qu’avec la venue d’Internet, une nouvelle forme de journalisme a pris place : le journalisme citoyen. En Europe ainsi qu’en Asie, certains sites Internet y sont même dédiés. (p. 67) Ces nouveaux reporters « peuvent être témoins d’évènements, ou recueillir des informations, des renseignements difficilement accessibles pour les structures journalistiques traditionnelles. » (p. 117) Avoir les internautes comme journalistes permet d’avoir des reporters à chaque coin de rue, ce qui est impensable pour une agence de presse (p. 119). Par contre, n’ayant pas la méthodologie des journalistes, les citoyens peuvent produire de la « mésinformation » et ils ne sont pas à l’abri de la désinformation (p. 117). Avec la venue d’Internet, l’infopollution et la surinformation ont fait leur apparition. Avec les données constamment renouvelées, il est difficile d’y faire un tri. Par contre, celui-ci est très important. Il faut extraire d’Internet ce qui est pertinent et significatif (p. 103). Il faut être prudent face à l’information qui nous est communiquée et savoir veiller et vérifier les informations reçues (p 106-107). Une précaution peut être de croiser différentes sources afin de voir si l’information communiquée est cohérente (p. 163). Rosnay va même jusqu’à dire que « le véritable pouvoir réside dans la faculté de rechercher, localiser, trier, filtrer, recomposer, analyser, communiquer ou diffuser l’information utile et pertinente. » (p. 121) En d’autres mots : il faut faire une curation des données.

DE RÉCEPTEURS À ÉMETTEURS

Un des thèmes souvent mentionnés dans le livre de Rosnay est le changement de rôle. Dès son introduction, Rosnay explique que ceux appelés jusqu’à présent récepteurs sont maintenant en mesure de prendre part « aux processus planétaires de création et de distribution d’information. » (p. 11) C’est l’apparition du P2P, peer to peer, où les utilisateurs créent de l’information et la partagent avec d’autres. La communication se passe alors de bas en haut, et ce sont maintenant les utilisateurs qui adaptent les outils présents sur Internet à leurs besoins (p. 32).  Les pronétaires sont libres, échangent ce qu’ils veulent, contribuent à leur goût, sans être soumis à une autorité quelconque (p. 33). La venue de différents outils a permis aux récepteurs d’émettre à leur tour, en produisant de la musique et des films, faisant ainsi compétition au monde professionnel (p. 60). Plusieurs innovations sont venues suite aux désirs des adolescents : le courrier électronique, le SMS, le chat, etc. « Ils ont été promus par les utilisateurs eux-mêmes. » (p. 71) Ces nouvelles applications étaient révolutionnaires et leur permettaient une plus grande liberté. L’abondance d’Internet a permet d’équilibrer le pouvoir. La rareté n’étant plus, les pronétaires n’étaient plus sous la dépendance des grandes industries. Avec le Web 2.0, ceux-ci se sont appropriés l’information ainsi qu’Internet (p. 183). En effet, les programmeurs d’Internet sont les utilisateurs (p. 206). Ils contribuent en fournissant des données et en créant du contenu. Rosnay pousse la réflexion et dit même qu’en « s’unissant avec cohérence et intelligence [les utilisateurs] pourraient créer un contre-pouvoir ou une « intelligence collective ». » (p. 199) « L’utilisation efficace d’Internet passe par son feed-back global, par sa réactivité. » (p. 202) Le pouvoir est entre les mains des internautes, ils doivent simplement le saisir.

Commentaire

L’ouvrage de Rosnay est très instructif et intéressant, surtout 9 ans plus tard. Il arrivait que lors de la lecture, certains sites web et éléments m’étaient complètement inconnus. Il est fascinant de voir comment la technologie a évolué en 9 ans, et comment certains sites ou moteurs de recherche ont complètement disparu. Yahoo n’est presque plus utilisé, surpassé par Google depuis quelques années, MySpace n’est plus d’actualité, et Facebook qui n’est mentionné qu’un seule fois dans le livre est le site qui est en tête du palmarès des réseaux sociaux, avec plus d’un milliard et demi d’utilisateurs[7]. Bien qu’il dépeigne les média sociaux sous un bel angle (comme mentionné dans la conclusion de son livre, c’était le but quand même), ma perspective de ceux-ci est malheureusement teintée de négativité, d’après la réalité vécue.

CHANGEMENT DE RÔLE

Rosnay parle beaucoup dans son livre de comment les récepteurs sont passés du côté des émetteurs, avec une communication basée sur le feed-back. Ce modèle de communication est très différent de celui développé par Shannon (professeur au MIT pendant 20 ans) et Weaver. En effet, sur Internet et les média sociaux, nous sommes loin d’une communication directe, et sans retour. En lisant le livre de Rosnay, j’ai beaucoup pensé à la nouvelle place du récepteur. [8]
Internet est en quelque sorte l’explosion des communications. Effectivement, tous peuvent écrire, contribuer à la vie sociale, mais tous ne savent pas comment le faire ni quoi dire. Malheureusement, les média sociaux affichent beaucoup de préjugés, stéréotypes et jugements. Les insultes, les intolérances et le racisme font partie intégrante de ces réseaux. Bien que plusieurs se battent pour les faire disparaître, ils restent présents.

INTERNET AMÈNE UNE SOLIDARITÉ *HYPOCRITE* MONDIALE

Rosnay mentionne dans son livre qu’une des beautés d’Internet est l’avènement d’une solidarité mondiale (p. 143). Un exemple récent est certainement celui vécu dans les derniers jours. En lisant le livre, plusieurs éléments m’ont fait penser à la tragédie vécue le 13 novembre en soirée. Suite aux attentats survenus à Paris, Facebook a mis en place une application permettant de changer la photo de profil de ses utilisateurs avec un filtre de couleur bleu, blanc et rouge, couleurs du drapeau français. Cette initiative voulait « soutenir les victimes et les familles du massacre survenu vendredi soir dans la Ville Lumière. [9]» Youtube a même changé son logo quelques jours pour soutenir la France[10].

Plusieurs monuments internationaux illuminés aux couleurs de la France, ont circulé sur les médias sociaux. Cette solidarité était belle, mais quelque peu hypocrite. En octobre, la Turquie a été « frappée par l’attentat terroriste le plus meurtrier de son histoire[11]» : 97 morts, 48 blessés aux soins intensifs. Où était le drapeau de la Turquie? Le 12 novembre, un double attentat-suicide a fait 43 morts au Liban[12]. Où était le drapeau du Liban? Les média sociaux sélectionnent ceux pour qui la population mondiale sera solidaire, et j’en suis déçue. Bien que le désastre aille été terrible, une vie française ne vaut pas plus qu’une vie libanaise ou turque.

En conclusion

Rosnay écrit vers la fin de son livre que si les citoyens s’unissaient, ils pourraient créer un contre-pouvoir fondé sur l’intelligence collective et les média de masse. Le potentiel est réellement incroyable. Malheureusement, les média de masses (sociaux) sont souvent mal utilisés, et des utilisateurs mal informés finissent par se suivre sans questionnement comme un troupeau de moutons. Oui, il y a eu de grandes choses faites à travers les média sociaux (je pense au printemps Arabe), mais ceux-ci ne sont pas exploités à la hauteur de leur potentiel. Voilà pourquoi j’ai intitulé mon article « La (presque) révolte du pronétariat! ».  Un jour, peut-être y aura-t-il une pleine révolte

Références :

[1] Wikipédia, « Joël de Rosnay », https://fr.wikipedia.org/wiki/Jo%C3%ABl_de_Rosnay, réf. 16 novembre 2015
[2]Wikipédia, « Origine de la vie », https://fr.wikipedia.org/wiki/Origine_de_la_vie, réf. 16 novembre 2015
[3] Joël de Rosnay, « Biographie de Joël de Rosnay, http://www.carrefour-du-futur.com/biographie/, réf. 16 novembre 2015
[4 Joël de Rosnay, La révolte du pronétariat, des mass média aux média de masses, Fayard, 2015, p. 12
[5] Joël de Rosnay, Op. Cit., p. 211
[6] Ibid
[7] Sophie Estienne, « Facebook ateint 1,55 milliard d’utilisateurs », http://techno.lapresse.ca/nouvelles/internet/201511/04/01-4917320-facebook-atteint-155-milliard-dutilisateurs.php, réf. 16 novembre
[8] L’image provient du cours CMN 1548, donné en automne 2014 avec Geneviève Boivin et représente le modèle de communication de Shannon et Weaver.
[9] Marlie Beaudin, « Voici comment changer votre photo de profil Facebook aux couleurs de la France », http://www.journaldemontreal.com/2015/11/14/voici-comment-changer-votre-photo-du-profil-facebook-aux-couleurs-de-la-france, réf. 16 novembre 2015
[10] http://images.indianexpress.com/2015/11/parisyoutube_big.jpg
[11] Radio-Canada, « Article du 10 octobre 2015 – La Turquie frappée par l’attentat terroriste le plus meurtrier de son histoire », http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/International/2015/10/10/001-attentat-terroriste-ankara-turquie-morts.shtml, réf. 16 novembre 2015
[12] Benjamin Barthe, « Le Liban rattrapé par la guerre en Syrie », http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/11/13/en-difficulte-l-ei-frappe-le-hezbollah-a-beyrouth_4808875_3218.html, réf. 16 novembre 2015